L'Union Européenne n'a de sens que si elle est une maison de paix. Editorial de Marco Impagliazzo pour Avvenire

L'Union Européenne n'a de sens que si elle est une maison de paix. Editorial de Marco Impagliazzo pour Avvenire

La Journée de l'Europe et les prochaines élections

La Journée de l'Europe, à la veille des élections européennes, fait réfléchir sur notre continent, dramatiquement touché par la guerre en Ukraine.

Aimer l'Europe mais avoir peur de Bruxelles. Rêver d'un continent dotée d'une force douce mais tolérer les pulsions nationalistes et localistes ; se sentir unis mais encore trop différents ; rechercher des règles supranationales mais hésiter à achever l'édifice commun ; apprécier le marché unique mais se méfier de l'euro ; bénéficier de la fin des frontières intérieures mais craindre leur suppression ; souhaiter la fin des guerres mais s'y prendre à contretemps sur le plan international...

L'aventure européenne ressemble à une longue liste de contradictions et d'indécisions. Les Européens sont incertains et peu sûrs de leur destin. Pris, comme l'écrit Manent, "entre leurs vieilles nations et la nouvelle Union européenne, ils s'interrogent, perplexes, à contre-courant, sur la vie commune qu'ils espèrent pour eux-mêmes...". Peut-être n'ont-ils jamais été aussi hésitants qu'aujourd'hui quant à ce qu'ils doivent faire.

De grandes questions se posent aujourd'hui quant à l'avenir du continent, au premier rang desquelles la question de la paix. Il est bien connu qu'à l'origine de la construction de la communauté se trouvent la perspicacité et l'engagement des grands chrétiens européens, des catholiques. La déclaration Schuman du 9 mai 1950, dont nous faisons mémoire aujourd'hui, a surmonté des années de guerres et de divisions en proposant une nouvelle forme de coopération entre les pays européens. Les "pères" de l'Europe ont surmonté les profondes divisions des peuples et ont cru en un destin commun. Pour réaliser ce dessein, Adenauer, De Gasperi, Schuman et d'autres se sont inspirés de leur foi. Celle-ci éclaire l'idéal européen et le distingue d'une négociation d'intérêts opposés.

Pour les fondateurs, l'Europe était le fruit d'un profond changement de mentalité, une sorte de conversion. Il ne s'agissait pas d'un compromis, mais d'une méthode entièrement nouvelle, fondée sur des valeurs proprement chrétiennes : les vertus du sacrifice, de la compréhension, de la confiance et de l'intérêt commun. D'un point de vue politique, ces chrétiens européens étaient guidés par l'universalisme de l'Église. Mais au cours des longues années de la construction européenne, cet élan idéal s'est perdu au profit d'une Europe marchande, fruit de négociations autour d'intérêts contradictoires. Née comme un projet politique par excellence, l'intégration a été poursuivie avec des instruments économiques qui l'ont vidée et appauvrie. La perte de l'élan initial a progressivement éloigné l'Europe de ses citoyens, même si l'aspiration à un intérêt supérieur demeure en filigrane. Mais l'Europe n'a de sens que si elle propose au monde un modèle de vie commune et de vie pour les autres.

L'Europe n'a de sens que si elle est une maison de la paix. Car, malgré ses erreurs et ses faiblesses, elle a encore beaucoup à donner au monde : son humanisme, sa force raisonnable, sa capacité de dialogue, ses ressources, son modèle social, sa culture. Certains points peuvent faire de l'Europe un modèle pour les autres continents. A l'origine de deux guerres mondiales, elle peut être un paradigme de paix et de solidarité universelle. En rassemblant sa diversité, elle réalise la civilisation du vivre ensemble - celle qui manque au monde -, une réponse à la mondialisation homogénéisante et à la fausse doctrine du choc des civilisations et des religions. Son modèle social est une alternative à une économie inhumaine fondée sur le seul intérêt prédateur.

L'Europe peut apporter des réponses à une Afrique qui cherche des partenaires sincères. La civilisation de la coexistence est la réponse européenne au terrorisme, au fanatisme et au fondamentalisme. Les Européens doivent redécouvrir la fierté humble et consciente d'une communauté de destin, la coexistence qui est la civilisation de l'avenir et l'engagement pour la paix sur le continent et dans le monde.

La technologie ne suffit plus, car le monde a changé et chacun veut avoir son mot à dire. On ne peut pas empêcher cette évolution. Il est donc nécessaire de traduire l'Europe en termes compréhensibles et de surmonter le langage "eurocratique" inaccessible. Aujourd'hui, sa construction et son intégration sont soumises au regard quotidien du citoyen et de l'électeur, quel qu'il soit. Il fut peut-être un temps où les "pères" ne se sentaient pas tous égaux en Europe, avec la complicité de l'histoire. Mais aujourd'hui, sans crainte ni comparaison, les fils se sentent tous égaux : il est temps de l'accepter.

[traduction de la rédaction]


[ Marco Impagliazzo ]